La Tunisie demeure de nos jours en pleine crise au niveau des divers secteurs politique, social et économique. Cela a lourdement affecté le marché du travail et de l’emploi et a été véritablement la cause de la fermeture d’un grand nombre d’entreprises, la mise en difficulté de certaines d’entre elles et le licenciement d’un nombre important d’employés. A cet effet, et pour mieux comprendre la situation économique en Tunisie et surtout les problèmes auxquels sont confrontés des secteurs stratégiques, comme celui des phosphates qui persiste encore dans une situation difficile, nous avons contacté M.Ridha Chiba, conseiller international en exportation, pour nous expliquer en quoi réside la crise économique en Tunisie et quels sont les principaux facteurs qui ont été à l’origine des grandes difficultés par lesquelles passe le secteur des phosphates, ainsi que les solutions à proposer pour y remédier. Interview.
Quelles sont les caractéristiques de la crise économique en Tunisie?
La crise économique est ressentie en Tunisie par un fléchissement total de la conjoncture afférente aux diverses activités politique, financière, industrielle, commerciale, touristique, etc. Ceci se manifeste à travers l’impact qu’entraîne cette dégradation dans notre pays à travers :
-L’instabilité dans tous les secteurs, la désagrégation politique manifestée par la division et la discorde entre les trois pouvoirs.
-La crise sociale naissant du manque de confiance d’un peuple dans ses dirigeants et de son économie et qui ne peut entraîner que des mécontentements des classes démunies et des organismes syndicaux.
– L’absence d’investissements et de planification pour la création de la richesse et de l’emploi.
-L’endettement exorbitant de la Tunisie auprès des banques et organismes nationaux et internationaux
-Le déficit commercial et budgétaire excessif qui résulte d’une mauvaise politique basée essentiellement sur l’endettement et la fiscalité inégale, qui ne peuvent que ruiner le pays et créer une instabilité sociale.
– La non-assistance des grandes entreprises pour leur réhabilitation comme la société AMS fermée depuis onze mois sans que leurs employés reçoivent leurs émoluments.
-La croissance économique négative estimée à -8,8% en 2020 et qui a enregistré une perte de plus de 120.000 emplois.
-Une inflation avoisinant les 6%, et un PIB nominal en 2020 de l’ordre de 110,7 milliards de dinars contre 114,9 milliards de dinars en 2019.
Pourquoi, d’après vous, le secteur des phosphates demeure toujours dans une situation difficile?
C’est la Compagnie des phosphates de Gafsa qui gère ce secteur stratégique important. Cette société se trouve à Gafsa. Elle est spécialisée dans la préparation du terrain, l’extraction, la production et la commercialisation des phosphates. Toutefois, et à cause de certains problèmes notamment exogènes, elle demeure toujours en difficulté.
C’est en 1976 que cette société est devenue une entreprise d’Etat et a changé de nom après la reprise de ses activités de transport ferroviaire par la Société nationale des chemins de fer tunisiens. L’année de référence demeure celle de 2010 avec un bénéfice net de 373 millions de dinars tunisiens.
Toutefois, avec l’année 2011, ses problèmes se multiplient et s’accentuent davantage pour plusieurs raisons, entre autres :
-La forte pression sociale qu’a connue le gouvernorat de Gafsa qui a été confrontée à un fort taux de chômage dépassant les 25%.
-Les chômeurs bloquent les voies de chemin de fer et freinent l’acheminement du minerai vers la ville de Sfax. Ce qui a contraint la société à accroître le nombre de ses employés, passant de 8.000 en 2010 aux environs de 30 000 après cinq ans.
C’est à cause de la production qui a chuté en raison de ces mouvements sociaux et des blocages de la route que la compagnie a perdu beaucoup de marchés internationaux après avoir été l’une des plus importantes productrices de phosphates occupant la cinquième place mondiale. Ceci a aggravé véritablement sa situation économique, financière et sociale. Cette chute est aussi le résultat d’une incapacité structurelle au niveau des moyens de transport utilisés.
A titre d’exemple, la société a enregistré une baisse très significative au niveau de la capacité de transport ferroviaire entre 2010 et 2019 atteignant approximativement moins de 77 % par rapport à ce qui a été réalisé auparavant. Ce qui a obligé les responsables de la société à adopter le transport routier à côté du transport ferroviaire, et ce, en vue de remédier et surtout d’ajuster le manque à gagner subi. Il n’est pas aussi superfétatoire de mentionner que son rôle social dans la région en tant que sponsor de l’équipe locale et parraineur de plusieurs manifestations sociales, culturelles et sportives dans la région apaise assurément la tension sociale et encourage les gens à s’extérioriser davantage chacun dans son domaine moyennant des dons et des subventions de la part de la société. Ce qui a alourdi ses dépenses.
A vrai dire, malgré le cumul des pertes de la société des phosphates de Gafsa, enregistré entre 2010 et 2019, qui est de l’ordre de 603 millions de dinars, et la baisse de la production de l’ordre de 3,6 millions de tonnes par an en 2019, cette société peut toujours remonter la pente et sortir de sa situation difficile de manière progressive. Ainsi, la société reviendra à son activité normale et réalisera les objectifs escomptés si évidemment le gouvernement l’entoure de tous les soins en lui assurant toutes les conditions requises de décollage et de réussite continue.
Quelles sont d’après vous les conditions de réussite pour cette compagnie?
D’emblée, la Compagnie des phosphates de Gafsa ne doit aucunement être une société à vocation sociale au détriment de sa vocation économique. Elle doit travailler conformément à des objectifs préalablement fixés en amont. Elle doit exploiter son plan de charge de la manière la plus optimale, c’est-à-dire utiliser tous les moyens dont elle dispose avec le concours de l’Etat, des ressources humaines, financières, logistiques et de production, tout en passant par les étapes suivantes:
La planification, l’organisation, la direction et le contrôle. Et, aussi selon une norme de qualité et un ordonnancement rigoureux conformément à des objectifs allant de pair avec les attentes des clients. L’Etat doit absolument assister cette société et aussi investir dans cette région pour diversifier le marché du travail, participer à la création de la richesse et surtout diminuer ses fortes charges. A titre d’exemple, quand l’Etat tunisien va entamer la construction de l’hôpital de Gafsa dont les frais, à savoir 60 millions d’euros, ont été déjà cédés par le gouvernement français.
L’Etat doit, aussi, mettre un terme à tout ce qui est de nature à nuire à l’ordre public et à résoudre tous les problème dans le cadre d’un dialogue pacifique ouvrant les horizons à tous les intervenants en encourageant les initiatives privées et en faisant créer de nouvelles entreprises seules capables d’absorber le chômage dans la région de Gafsa sans omettre la restructuration de la Compagnie des phosphates afin que les réalisations aillent de pair avec les objectifs fixés en avance. D’un autre côté, la Société nationale des chemins de fer doit absolument réhabiliter toutes les lignes de chemin de fer ainsi qu’un grand nombre de wagons pour qu’ils soient opérationnels et redémarrer dans les meilleurs délais en vue de doubler les capacités de transport.
Enfin, pour conclure, nous disons qu’un marché sûr et important comme celui des phosphates ne doit nullement être négligé par l’insouciance et l’indifférence de quiconque quelles que soient les conditions. Au lieu de solliciter des investissements étrangers pour l’implantation de sociétés étrangères sur le territoire tunisien, ne serait-il pas mieux pour l’Etat de réhabiliter les sociétés fermées comme les AMS, Tunisie Lait, ICAR et autres et d’assister les entreprises de grande envergure en difficulté pour qu’elles redémarrent convenablement et améliorent la croissance économique requise !